Identités

Conor McGregor, mal en poings dans son quartier

Reportage réalisé à Dublin (Irlande).

Si Conor McGregor est devenu une star mondiale du MMA et compte d’irréductibles soutiens en Irlande, sa cote de popularité est plombée à Crumlin, son quartier pauvre d’origine. En cause, son tempérament violent et des accusations d’agressions sexuelles.

Conor McGregor, en 2015, à Londres. © Andrius Petrucenia

Il faut le voir, sourcils froncés, mains dans les poches de son jogging, grommelant devant la peinture à l’effigie de Conor McGregor. Agacé par ce visage barbu-langue tirée dans les rues de Crumlin, il peste: «On verra combien de temps ce portrait va tenir avant d’être dégradé.» Philip Lynott pèse peut-être mal ses mots. Mais pour cet habitant du quartier pauvre de Dublin, territoire de l’un des gangs les plus dangereux d’Irlande, les Kinahan, la star du MMA (combats extrêmes en octogone réputés pour leur brutalité) n’est qu’un «imposteur». «Déjà que notre quartier n’est pas très réputé, si en plus McGregor en donne une image de violence…». À Crumlin, là où le champion est né, il n’est pas le seul à penser cela.

Et pourtant, dans cette zone du sud-ouest de Dublin, Conor McGregor a longtemps été élevé au rang de légende. À 31 ans, le combattant a marqué l’histoire de son sport en étant le premier à détenir un titre mondial dans deux catégories différentes (2015 en poids plume, 2016 en poids léger). Sa renommée traverse désormais les frontières de son pays: les États-Unis adorent cette histoire du self-made-man, ancien plombier au chômage devenu millionnaire, dont la fortune était estimée à plus de 100 millions de dollars par Forbes en 2018. «C’est sympa d’être payé pour tabasser des gens», s’exclamait-il devant les millions de téléspectateurs de l’émission du célèbre humoriste américain Jimmy Kimmel. Même perdu, son combat de boxe contre l’ancien champion du monde Floyd Mayweather, en 2017 à Las Vegas, lui avait permis de s’affirmer une bonne fois pour toute comme une star planétaire. Le duel, surnommé le «Combat de l’argent», avait rapporté 100 millions de dollars à McGregor.

Dans le centre de Crumlin, les passants s’arrêtent devant la fresque peinte en l’honneur de Conor McGregor. «On verra combien de temps ce portrait va tenir avant d’être dégradé», souffle Philip Lynott, un habitant. © Samuel Hamon

Mais pour «The Notorious», «le Célèbre», les polémiques se sont accumulées: arrestation en 2019 à Miami pour le vol et la destruction du portable d’un fan; altercation dans le Marble Arch Pub de Dublin la même année; suspension de 6 mois pour une bagarre en marge de sa défaite contre Khabib Nurmagomedov en 2018. Il avait également plaidé coupable en juillet 2018 pour avoir jeté un chariot à bagages sur un bus de combattants. Cela lui a évité un procès et une peine de prison.

Surtout, Conor McGregor fait face à deux accusations d’agressions sexuelles. La première en 2018 dans un hôtel de Dublin. La seconde, l’année dernière, devant un bar de la capitale. Alors qu’il nie «catégoriquement» ces allégations, la police irlandaise enquête toujours sur ces deux affaires. Le combattant n’est pour l’instant pas inculpé.

Les accusations d’agressions sexuelles ? «Tout ça, c’est du fake!»

Ces sorties de route ont largement divisé les habitants de Crumlin. Sur la Old County Road règne un calme qui détonne avec la réputation d’un quartier gangrené par les violences et la drogue. Seuls quelques camions déboulent devant les enfilades de maisons en briques et les esplanades d’herbe. À gauche de la route principale, une échoppe étroite. Derrière la vitre tintée du Old County Barbers, David taille à la lame la barbe de Jo, un habitant du coin. Le boss de l’enseigne, Craig, est le coiffeur personnel de McGregor. Ici, les habitués le défendent avec ardeur. «C’est une légende, un exemple», lance tout de suite Jo. Les accusations de violences et d’agressions sexuelles?: «Tout ça, c’est du fake! Il n’y a pas de preuves», souffle David. «Les femmes qui l’accusent se font de l’argent grâce à cela, renchérit Jo. Quand on devient célèbre, on en a après vous.» Le coiffeur assure que Conor McGregor est un «bon gars», et rappelle qu’il a «financé la construction de logements pour les sans-abris. Mais ça, personne ne le sait». Le champion de l’UFC — plus importante ligue de MMA — a annoncé l’année dernière la construction de huit logements sociaux, à Ballymun, dans le nord de Dublin.

McGregor peut compter sur d’autres irréductibles soutiens. Plus loin, sur la Windmill Road, le Crumlin Boxing Club se cache entre la piscine et le club de football. McGregor y est idolâtré. Il y a porté pour la première fois des gants de boxe à l’âge de douze ans. Dans son jogging large et son corps trapu, Philip Sutcliffe, le président et premier entraîneur de la star, commence par feinter quand on le lance sur le sujet : «Conor qui?»  Tasse de café à la main, il avoue en avoir «marre» qu’on lui parle «tout le temps de Conor, alors qu’on a énormément d’autres champions ici». Il termine sa phrase en montrant du doigt Martin Stokes, cinq fois champion d’Irlande, en train de s’échauffer sur le grand ring bleu en hauteur, où est inscrit le nom de…McGregor.

Philip Sutcliffe, le président et premier entraîneur de Conor McGregor, est au club depuis 25 ans. Selon lui, «Conor est peut-être controversé, mais en terme d’implication, c’est phénoménal.» © Samuel Hamon

 

Il est entièrement dévoué à son sport. Et parfois, il laisse cela échapper en dehors…

Philip Sutcliffe, premier entraîneur de McGregor

Dans la petite salle rectangulaire, les gants usés et les protections de combat  s’entassent sur les tapis de sols. Très vite, une quarantaine de boxeurs — adultes comme enfants — imprègnent le lieu de transpiration, et les ordres de Philip Sutcliffe se confondent avec les coups de poings contre les punching-ball. «D’accord, McGregor est controversé, souligne Sutcliffe, remettant le sujet sur la table. Mais en termes de sérieux et d’implication, il est phénoménal.» L’entraîneur, au club depuis 25 ans, le compare à une «Rolls Royce», avant d’avouer: «Il est entièrement dévoué à son sport. Et parfois, il laisse cela échapper en dehors…» Comprendre, McGregor a le combat dans la peau, et des pertes de sang froid expliqueraient ses multiples écarts.

Le Crumlin Boxing Club compte 100 licenciés, qui s’entraînent chaque semaine dans une étroite salle rectangulaire. © Samuel Hamon

En bas du ring principal, Christian Jubany, 12 ans, observe un boxeur plus âgé en train de répéter ses gammes. À l’évocation du nom de McGregor, ses yeux brillent. «C’est un exemple pour moi, appuie le “futur champion d’Irlande” selon Sutcliffe. J’ai une photo avec lui, et il est venu me voir à l’un de mes combats.» Christian n’en dira pas plus. Questionné sur les polémiques qui entourent McGregor, il doit subitement aller combattre sur le petit ring du fond.

Pour Christian Jubany, 12 ans, Conor McGregor est un «exemple». Le champion de MMA est venu assister à l’un de ses combats. © Samuel Hamon

Conor McGregor, qui possède une maison luxueuse à l’ouest de Dublin, reste très attaché à son quartier d’origine. Il revient souvent au Crumlin Boxing Club, et a créé une marque de whisky, le Proper 12, en référence au numéro du district de Crumlin à Dublin.

«The Notorious» y a grandi dans la zone résidentielle de Old County Glen. En cet après-midi de février, le calme n’est rompu que par le bruit des Skoda qui se garent devant leurs demeures mitoyennes. Selon plusieurs habitants, le quartier était tout aussi calme pendant l’enfance de McGregor. «Il affirme être issu d’un milieu très pauvre, être parti de rien, mais c’est complètement faux, raconte Stella Hogam, une résidente de soixante-deux ans, à côté de son mari. Je ne sais pas pourquoi il invente cela. Peut-être qu’il veut se créer une histoire.» Son fils, Michael, a «énormément joué avec Conor quand ils étaient enfants». Pour elle, la famille McGregor «n’était pas si pauvre. C’était une classe moyenne, qui avait une vie confortable».

De sa poche, elle sort son téléphone dernière génération, avant d’appeler son fils. «Dis-moi, Michael, c’était quoi le numéro de la maison où vivait la famille McGregor, s’il te plait?, lui demande-t-elle avec un accent irlandais prononcé. Le numéro 39? Merci!» Après avoir raccroché, elle indique de sa main l’ancienne maison de Conor McGregor. Elle se trouve cinquante mètres plus loin.

 

Ici, la plupart des gens le haïssent.

Luke, habitant de Crumlin.

La maison du n°39 est identique aux autres du coin : deux étages, une porte d’entrée blanche, et trois fenêtres. McGregor y vivait avec son père chauffeur de taxi, sa mère au foyer, et ses deux sœurs aînées. Luke, qui ne souhaite pas donner son nom de famille, habite trois portes plus loin. Il vit ici depuis trois ans. «Mon cousin était l’un de ses meilleurs amis lorsqu’il vivait ici, indique l’étudiant en fitness, invitant à prendre le café. Il a une sérieuse réputation par rapport à la violence, les drogues, les femmes…»

Conor McGregor vivait au n° 39 de la zone résidentielle de Old County Glen. Le lieu a toujours été calme, selon les habitants du quartier. © Samuel Hamon

Dans sa longue maison qui se termine par un jardin, le fan de boxe de vingt-cinq ans confirme que la star ne jouit plus d’une cote de popularité forte dans le quartier. «Ici, la plupart des gens le haïssent, ira-t-il même jusqu’à souffler, mâchoire serrée. Ils le haïssent à cause de sa réputation. Il donne une très mauvaise image du quartier et de l’Irlande. Pour beaucoup, il ne représente pas le pays.»

Des liens avec des criminels locaux

Alors que Crumlin était l’épicentre de guerres de gangs à la fin du XXe siècle, les liens supposés de Conor McGregor avec le milieu criminel local ont semé le trouble. Il a plusieurs fois affiché sa complicité avec les Murray’s Brothers, deux gangsters locaux condamnés plus de soixante-dix fois à eux deux. En 2017, une rixe avec un associé du clan Kinahan, dans le Black Forge Inn, un pub de Dublin 12, a dévoilé au grand jour sa proximité avec la pègre locale. Le clan a la main sur le marché de la drogue du sud de Dublin. «McGregor a des liens avec Christy Kinahan (le chef du groupe, ndlr) et est ami avec d’autres criminels de Crumlin», affirme Luke. Le voisin à la mâchoire carrée, qui a rencontré deux fois McGregor, s’alarme de voir que le boxeur est un exemple pour les jeunes ici. «C’est une personne très violente. Mon cousin m’a dit qu’un jour, il marchait avec lui dans la rue, et qu’ils étaient tombés sur trois personnes qui en voulaient à McGregor. Conor s’est battu avec les trois… et il les a défoncés. Il avait 18 ans.»

Contacté par téléphone, le cousin confirme mais ne veut pas en dire plus. Il ne souhaite pas avoir des problèmes, précisant être «toujours ami avec les amis de McGregor».

Cette mauvaise réputation dérange d’autant plus Luke, que McGregor est «la première figure aussi populaire en Irlande». «Pourquoi certains habitants l’adorent? Parce que personne d’autre en Irlande n’a été aussi populaire que lui à travers le monde!»

Luke habite à trois portes de l’ancienne maison de Conor McGregor. «Pour beaucoup, il ne représente pas le pays», décrit l’habitant de Crumlin, où la cote de popularité du champion s’est effritée. © Samuel Hamon

Un phénomène que confirme un journaliste irlandais qui couvre le MMA depuis longtemps, souhaitant conserver l’anonymat. «Il ne représente pas l’image de notre pays, nous ne sommes pas tous des têtes de c… (sic)», s’exaspère l’expert dans un pub de la capitale. Selon lui, «beaucoup de personnes lui ont tourné le dos, mais il reste une base de fans stupides qui seront toujours d’accord avec les choses qu’il fait».

À Old County Glen, il ne se passe pas un jour sans que le nom de McGregor ne soit évoqué. À la question «est-ce que Conor était un bon garçon?», les Hogam, anciens voisins, se regardent d’un oeil maladroit, grimacent, et rigolent ensemble. « Il est vraiment très controversé, si vous voyez ce que je veux dire…», conclut le mari, Michael, qui rentre chez lui sans finir sa phrase. Le 19 janvier dernier, Conor McGregor avait mis quarante secondes pour terrasser l’Américain Donald Cerrone. Sensationnel, mais toujours pas assez pour faire l’unanimité.

Encadré par Cédric Molle-Laurençon

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